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Comment Cinerji compte réinventer les sorties cinéma au Maroc

11.07.2023 à 19 H 01 • Mis à jour le 12.07.2023 à 01 H 30 • Temps de lecture : 12 minutes
Par
7EME ART.
A la tête de Cinerji, la nouvelle enseigne « 100% marocaine » de 25 multiplexes qui verra son premier déploiement dès 2024, Hakim Chagraoui a échafaudé un nouveau modèle économique grâce auquel il ambitionne de disrupter un secteur jusqu’ici trusté par les opérateurs français. Son crédo, « démocratiser le cinéma ». Les détails sur son pari

Il se pose en game changer d’un secteur jusqu’ici trusté par des opérateurs étrangers : Hakim Chagraoui, connu pour avoir lancé la radio digitale NRJ Maroc rend public ce 11 juillet son projet Cinerji, un réseau de 25 complexes comprenant chacun en moyenne quatre salles de cinéma de dernière génération, conçues par l’architecte français Pierre Chican et dont Le Desk avait révélé l'essentiel de sa logique économique en avril dernier.


Pour mener à bien son projet, l’homme d’affaires table sur une injection de 400 millions de dirhams (MDH) sur les trois prochaines années, avec déjà en poche « les accords de principe avec des fonds marocains ». Selon nos sources, un fonds de CDG Invest examine déjà son dossier, tandis que des groupes internationaux se bousculent au portillon : premier de cordée, le Saoudien IMC, qui ambitionne d’établir un réseau panarabe. On sait qu’il privilégie des acteurs déjà structurés et Cinerji n’échappe pas à son scope. Sur le terrain du business du 7ème art marocain, la concurrence est déjà sur le pied de guerre, apprend-on. Sont cités l’Emirati Vox ou encore le Belge Kinépolis.


« On était devant un terrain vierge  »

Ainsi bardé, Cinerji a un objectif déclaré : « démocratiser le cinéma » selon un modèle inédit qui s’appuie sur  des partenariats à même d’assurer à Cinerji « opérateur 100 % marocain » une large couverture territoriale. « Plusieurs acteurs ont essayé depuis des années de bloquer tout investissement marocain dans le secteur », lâche d’emblée au Desk Chagraoui, pointant sa configuration actuelle : hormis les salles indépendantes dont beaucoup sont moribondes, le paysage demeure dominé par des groupes internationaux : les Français CinéAtlas, Megarama et bientôt Pathé en cheville avec Marjane ainsi que l’Américain IMAX qui a quitté sa sphère du Morocco Mall au profit de Cinerji pour justement se liguer à Pathé au tout-nouveau Californie Mall…

C’est d’ailleurs à partir de ce constat que Chagraoui a nourri son ambition : « Nous avions collaboré avec des studios internationaux comme Disney sur Marvel Festival, ainsi que pour les 90 ans de Mickey au Maroc et nous avions vu qu'il y avait un manque de salles de cinéma sur tout le territoire marocain », explique-t-il. «  Nous voulions créer nos propres complexes pour pouvoir proposer une programmation nationale », poursuit-il. Un besoin se présentait donc sur le marché. « On était devant un terrain vierge  », souligne notre interlocuteur. « Vierge », nuance-t-il, non pas dans le sens où le pays ne dispose pas de salles de cinéma, ou qu’il est question d’un service nouvellement introduit. Tout au contraire, « aller au cinéma a toujours fait partie des habitudes des Marocains », insiste le patron de Cinerji. Néanmoins, cette habitude a commencé à disparaître, et les «  salles de cinéma désertées  ».

 

Un soutien public… méconnu

Afin de concrétiser son programme, Hakim Chagraoui s’est tourné vers le ministère de tutelle : celui de la Culture, mais aussi le Centre cinématographique marocain (CCM). « Nous avons découvert non pas par hasard, que le CCM et le ministère de la Culture soutenaient déjà les salles de cinéma au Maroc. Et qu’en fait c’est juste que les acteurs privés n’étaient pas au courant de cela », avance-t-il.


Alors que le soutien financier du CCM permet de couvrir 30 % du montant de l’investissement, l’appui du ministère est aussi important. « Le ministère nous facilite toute la partie procédures, autorisations etc…, ainsi que la partie foncier. Ils nous mettent à disposition via les gouverneurs et les wali de la région, des terrains pour qu'on puisse bâtir rapidement des complexes », explique l’investisseur. Et le timing n’aurait pas pu être meilleur : au même moment où Chagraoui se penchait sur son projet, Mehdi Bensaid, ministre de la Culture, promettait l’ouverture de 150 salles de cinéma à travers le pays.


Hakim Chagraoui, fondateur et promoteur de Cinerji. Crédit: Mustapha Razi / Le Desk


Chagraoui insiste que bien que Cinerji et le département de Bensaid partagent un objectif commun, « il ne faut pas faire l’amalgame entre les deux projets ». Néanmoins, il ne cache pas son intérêt pour collaborer avec le ministère pour le lancement des 150 salles promises. « On s’est proposé pour accompagner le ministère dans la mise en marche de ces salles, et je pense que tous les autres acteurs proposeront la même chose. Cela ne permettra que de créer une nouvelle dynamique ».


Duo Chagraoui-Bensaid: 250 salles de cinéma en vue. Infographie: Mohamed Mhannaoui / Le Desk

 

Par ailleurs, à travers sa société Global Entertainement (GE), Chagraoui se positionne également en tant qu’intégrateur des marques Christie et Dolby au Maroc dont il équipera ses propres salles, fournissant ainsi ce matériel (écrans, projecteurs et systèmes cinéma et live) Al Omra Group qui a remporté le marché d’équipement des futures salles du ministère de la Culture.


La botte secrète des centres commerciaux

Au-delà de l’appui public, notamment sur le foncier, Chagraoui ajoute aussi et surtout une autre corde à son arc lui permettant de modéliser son investissement et le soutenir à long terme à travers des partenariats avec des centres commerciaux privés. « Dès le lancement du projet, nous avons reçu beaucoup de demandes de la part de réseaux de centres commerciaux au Maroc qui nous ont approchés pour éventuellement collaborer ensemble », explique-t-il. Il est même convaincu que l’avenir de la grande distribution et du cinéma sont intimement liés. Si pour une salle de cinéma l’emplacement au sein d’un centre commercial ne peut qu’être bénéfique, c’est elle qui permettra à son tour d’attirer les clients. « Les modes de consommation ont changé. Les gens achètent de plus en plus en ligne, et se font livrer chez eux. Le cinéma, par contre, ils ne peuvent pas l'avoir chez eux. Donc c'est la meilleure excuse pour qu'ils viennent dans un centre commercial », étaye-t-il.



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Cinerji devient donc le premier acteur marocain à vraiment s’incruster dans ce modèle qui s’inspire des tendances observées ailleurs, comme aux Etats-Unis, en Europe ou au Proche-Orient où les malls sont à majorité dédiés au divertissement davantage qu’aux flagships de prêt-à-porter ou autres. Une présence qui devrait s’étendre au Maroc où les centres commerciaux sont de plus en plus portés par les fast-foods et les marques turques ou asiatiques. « Nous sommes ouverts à toutes les propositions », répète à l’envi Chagraoui qui annonce un premier déploiement de Cinerji dès 2024.


Un premier contrat avec Aksal lui a permis la reprise de l’IMAX du Morocco Mall reconfiguré en 4 salles Cinerji, un second vient d’être concrétisé à Bouskoura avec le centre commercial La Promenade construit en façade du nouveau lotissement de L’Orée du Parc au cœur de la Ville Verte. Selon nos informations, pour ce dernier, 6 salles de cinéma sont prévues à l’étage comprenant chacune 40 fauteuils inclinables tout-confort.


Le nouveau centre commercial La Promenade de la Ville Verte de Bouskoura accueillera bientôt un multiplexe Cinerji. Crédit: Le Desk


Par ailleurs, une autre alliance a été nouée « avec un acteur majeur de la grande distribution qui nous a proposé de développer des cinémas ensemble », se résume à dire Chagraoui avançant l’impératif de la confidentialité pour ne pas divulguer son identité. Mais il ne faut pas être clerc de notaire pour y percevoir l’implication du groupe Label’Vie (Carrefour) et de son partenaire, la foncière Aradei qui multiplient les projets de grands centres de loisirs à travers le Maroc (Fès, Marrakech, Rabat etc.). En banlieue-sud de Casablanca, le groupe de Zouhair Bennani construit d’ailleurs un mall aux dimensions impressionnantes comme l’a révélé Le Desk en novembre dernier, et au sein du nouveau quartier Almaz de Moulay Hafid Elalamy, faisant la jonction entre Bouskoura et Dar Bouazza, c’est un Sela Park qui est en cours d’édification. Indice qui ne trompe pas, c’est d’ailleurs à Almaz que Cinerji prévoit d’ouvrir un multiplexe de 6 salles au cours de la première fournée de 2024...


Chagraoui égrène d’autres localisations et autant de partenariats, dont Le Desk a pu en identifier certains : à Dar Bouazza, avec 5 salles au nouveau centre Le 25, à Agadir où il ouvrira le premier multiplexe de la ville accolé au Kitéa Géant (celui du Mégarama n’ayant pas pu voir le jour depuis une dizaine d’années par défaut du partenaire local), à Essaouira, sur la corniche, avec l’appui du conseiller royal André Azoulay, là où Al Omrane envisageait jadis des logements sociaux devenus incongrus dans cette zone. Le tout sans compter El Jadida, Mohammedia (prévu aussi en 2004 avec 6 salles) ou encore Dakhla dont le bâti sort déjà de terre.


Dans cette logique de développer des cinémas de proximité, voire de quartier, Cinerji vise aussi la reprise de salles indépendantes qui peinent à sortir du marasme tant l’écosystème de la production-distribution n’est pas à leur avantage, comme Le Desk l’avait décrypté dans sa précédente enquête sur le projet Cinerji. Selon nos informations, la mythique salle Le Lynx dans le centre-ville de Casablanca serait un partenaire de choix pour l’investisseur qui demeure là encore bouche cousue sur ses tractations en cours, mais qui parle déjà de 3 salles, elles aussi annoncées pour l’année prochaine.


Une programmation « neuve, diversifiée et interactive »

 Le soutien étatique assuré, le foncier globalement sécurisé, des partenariats avec spécialistes du retail…, le projet Cinerji a franchi bien des étapes. Néanmoins, il en reste une des plus cruciales : la programmation, qui « doit être vraiment variée  ». Et à ce stade Chagraoui, a certes capitalisé sur sa casquette de distributeur de musique, ainsi que d’acteur de l’événementiel pour sécuriser les contrats avec de « grandes boîtes de distribution marocaines et internationales comme Pathé, Facility Event  ». Et bien que la priorité soit donnée à encourager les productions nationales, ces contrats permettront ainsi aux salles Cinerji de projeter des films des quatre coins du monde, fait savoir Chagraoui. « Nous sommes sur une programmation vraiment internationale, mais pas que des blockbusters. Il y aura aussi des films asiatiques, indiens, égyptiens… », détaille-t-il.


Les contrats d’exploitation des œuvres cinématographiques en poche, un autre défi est à relever. Un défi qui se pose régulièrement et « partout dans le monde  », selon le nouveau exploitant : maintenir l’intérêt du public et l’engouement sur la salle. Le cycle de vie d’un nouveau film étant limité à « moins d’un mois » et le mode de consommation étant « trop rapide », les nouvelles créations étant accessibles à tous dès leur sortie, « on est obligé d'être à la carte, d'avoir un film récent le jour de sa sortie et de pouvoir renouveler régulièrement chaque semaine  », ajoute Chagraoui.


Et pour justement maintenir l’intérêt du public, l’exploitant des salles Cinerji innove encore. « En fin de compte, ce n'est pas nous qui ferons la programmation, mais plutôt le public. Nous serons en contact régulier avec eux, via une application avec des weekly, où tout le monde pourra proposer des titres de films qu’il voudra voir et nous essayeront de les programmer », fait-il savoir.


Des tarifs et formules « adaptés » à tous

Un autre élément qui attire le public : des tarifs « raisonnables ». Et c’est justement l’un des principaux ingrédients de la recette Chargraoui pour « démocratiser l’accès au cinéma ». Sur ce volet, un équilibre délicat est à maintenir. D’une part, la raison d’être du projet Cinerji est de « permettre à tous les Marocains dans tout le Maroc de se rendre à des salles de cinéma », un objectif principal d’ailleurs du partenariat avec les pouvoirs publics. D’autre part, « un modèle économique très différent et plus commercial  » s’impose. Car, rappelons-le, il s’agit après tout, un investissement de plus de 400 MDH est à amortir.


Pour réaliser l’objectif de départ tout en étant rentable, Chagraoui compte adopter une tarification plutôt « flexible » et variable en fonction des cibles, les séances, mais aussi l’emplacement.  « Nous sommes conscients que si les taux de fréquentation des salles de cinéma ne dépassent pas les 22 %, c’est que le pricing est un frein principal  », insiste Chagraoui. Et pour cause : le prix d’un ticket cinéma au Maroc varie entre 40 et 65 dirhams.


Cinerji compte proposer un ticket à 35 DH, nettement moins cher que les prix proposés par les réseaux établis. Infographie: Mohamed Mhannaoui/ Le Desk


« Nous avons préféré de baisser les prix », affirme Chagraoui. Bien que « certaines séances dans quelques complexes coûteront plus chers », selon lui, la moyenne des prix Cinerji se situera entre 30 et 35 dirhams, comme Le Desk l’avait annoncé dans son précédent article. Par ailleurs, « des tarifs spéciaux pour les écoles, à partir de dix dirhams, ainsi que des packs familles, pour quatre personnes qui vont coûter beaucoup moins chers » seront proposés.


Le promoteur de Cinerji insiste aussi sur aspect essentiel de son offre : dans chaque multiplexe Cinerji, une salle sera dédiée aux films marocains, avec un modèle de partage des revenus qui secoue les normes établies : « à 50/50 », promet Chagraoui et ce « sur toute la durée de programmation du film », alors que jusqu’ici le producteur local n’encaissait que 25 % de la recette avec des rentrées déclinantes dans le temps.


Une répartition des recettes plus équilibrée selon le modèle proposé par Cinerji. Infographie: Mohamed Mhannaoui / Le Desk


Autre nouveauté suivant une volonté de transparence totale, un accès direct aux ventes via une application qui permettra un monitoring des ventes de billets par film à toutes les parties prenantes. Enfin, Cinerji se projette déjà dans la co-production dès 2024 : 15 % de son chiffre d’affaires y sera consacré pour promouvoir la création nationale.


Cerise sur le gâteau, Cinerji fera durer le plaisir avec une programmation de spectacles en prolongation des séances de cinéma signée Global Event Morocco et prévoit aussi, pour le grand bonheur des footeux la diffusion de matchs une fois que les négociations en cours pour les droits seront parachevées.

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