
Depuis Ighil, dans l’œil du séisme d’Al Haouz
(De nos envoyés spéciaux à Ighil, l'épicentre du séisme à 153 kilomètres au sud Marrakech )
Coupée du reste du monde depuis vendredi soir, la commune Ighil est dans l’œil du séisme ayant fait à ce jour plus de 2 900 morts. La localité demeurait isolée, sans télécommunications, électricité ou eau. Seuls quelques hommes du douar étaient parvenus à franchir la barrière de pierres, conséquence des éboulements, pour avoir des nouvelles sur le monde extérieur.
Depuis ce lundi après-midi, les Forces armées royales (FAR), à travers leur unité de Secours et de Sauvetage ainsi les engins du ministère de l’Équipement et de l’Eau, ont réussi à se frayer un chemin au milieu de rochers. Les secours ont pu pour la première fois entrer à la commune d’Ighil, pour évacuer les blessés, mais aussi pour fournir provisions et vivres.
Le Desk a pu s’y rendre ce mardi matin. A une quarantaine de minutes en voiture depuis Talat N’Yaakoub, nous arrivons tout d’abord à Amerzgane, relevant de la commune d’Ighil. Le douar s’est fait connaître ces derniers jours par l’impressionnante image circulant sur les réseaux sociaux. On peut y voir un douar détruit, en débris, avec tenant encore debout le minaret de la mosquée.
Selon des habitants du douar, interrogés par Le Desk, on compte pas moins d’une vingtaine de victimes. Les environs de la mosquée étaient habités par trois familles qui ont chacune perdu des proches. Les enterrements ont déjà eu lieu, sans attendre les sauveteurs.
A Amerzgane, c’est un véritable ruche de secours qui se crée : chaque 20 minutes, un camion ou un pick-up chargé de vivres, de matelas, de matériels et d’aides arrive. Il sont immédiatement déchargés par les hommes du douar, avant qu’enfants comme jeunes ne commencent à charger le tout à dos de mulets.
Car au-delà d’Amerzgane, l’accès en voiture n’est toujours pas possible. Près d’une heure de marche est nécessaire pour enfin accéder à la ville-épicentre : il s’agit du douar Ighil, dont le nom est désormais connu à l’échelle internationale, et qui partage son nom avec la commune dont il relève.

A 15 heures, il ne restait aux équipes du ministère de l’Équipement et de l’Eau que moins d’une heure pour dégager la route. Sur place, c’est le directeur général des Routes, Mohammed Allan, qui chapeaute l’opération. « Nous pourrons dire sous peu que nous avons dégagé l’intégralité des rochers se trouvant sur les routes goudronnées », nous explique-t-il. « Il faudra ensuite passer au dégagement des pistes », ajoute-t-il, précisant que cela ne sera pas une mince affaire.
A l’aller comme au retour, toute une file d’ânes et de mulets transportent les provisions. Ceux-ci sont par moment obligés de s’arrêter, le temps que les équipes du ministère de l’Équipement puissent leur dégager une brèche parmi les débris. Ils reprennent ensuite la route, accompagnés de quelques deux-roues.
Située à 153 km de Marrakech, cette petite collectivité d’Ighil vit principalement autour d’une école, disposant d’une large cour et de deux ou trois salles de classe.
Pour s’y rendre, il nous aura fallu une bonne heure de marche en compagnie d’un détachement de l’Unité de Secours et de Sauvetage des FAR. Une trentaine de soldats commandés par un capitaine natif de Marrakech âgé d’une trentaine d’années. L’officier, une fois au centre d’Ighil, relâche la pression sur sa troupe qui joue volontiers avec les enfants du douar, venus en sa direction criant des « Wa laâskar ! » (Hé les militaires !).
Les différentes discussions que nous avons pu avoir avec les habitants seront toutes ponctuées par une invitation pressante à prendre le thé, confirmant ainsi les valeurs d’hospitalité propres à la région.
Dans l'attente des tentes
C’est dans cette apparente sérénité que les habitants du douar tentent de noyer leur détresse. Quatre des leurs sont morts. Un fonctionnaire de la commune, et trois enfants, apprend-on. Les trois enfants sont de la même fratrie, leur père, blessé, vient tout juste d’être évacué pour être soigné, tandis que la mère, éplorée peine à expliquer ce qui s’est passé, finissant par fondre en larmes.
C’est un des jeunes l’accompagnant qui nous glisse une terrible nouvelle : deux des enfants récupérés des débris étaient encore en vie. Sauvés des décombres vendredi soir, ils finiront par rendre leur dernier souffle samedi après-midi, faute d’avoir pu être soignés.
Libérés de l'isolement depuis hier après-midi, les habitants d’Ighil et d’Amerzgane auront passé pas moins de trois jours coupés du monde. Qu’ont-ils fait durant cette longue et pénible attente ? « Nous scrutions le bruit des hélicoptères puis chacun courait pour récupérer ce qu’ils pourrait larguer », témoigne à Amerzgane un homme venu récupérer le maximum de vivres avec son mulet.

D’autres personnes confirment ne pas avoir reçu d’aides de la part de l’armée. Pourtant, ce lundi une vidéo diffusée par 2M TV montrait des hélicoptères larguant des sacs sur les habitations . De source proche de l'équipe de télévision, il n’y a eu que cette opération. « Heureusement, ce n’était que du pain. Certains sacs ont chuté sur les femmes du village », nous indique-t-il.
« Nous avons tout ce qu’il faut pour manger et boire. Le problème maintenant, c’est juste où passer la nuit. Nous sommes sans abris et il fait très froid la nuit tombée », se plaint cette femme, à dos d’âne, debout devant la porte de l’école, transformée pour l’occasion en cuisine. « Est-ce que vous en avez vu sur la route ? », nous interroge pour sa part un vieil homme, s’attendant à être rassuré sur l'arrivée de tentes.

C'est le mot qui est sur toutes les lèvres : « tentes », insistent les habitants des douars où nous avons été, ne voulant pas entendre que la route est bouclée. « On peut aller les chercher et les aider », glisse un jeune de 15 ans.
Même son de cloche du côté de bénévoles que nous croisons bien plus tard sur la route du retour, à l’entrée d’Amerzgane. « Ils ont plus besoin de tentes et de bâches en plastique pour se couvrir de la pluie qui pourrait venir », nous affirme Amak Kalai, psychologue de profession.
Notre interlocutrice ajoute qu’un accompagnement psychologique est nécessaire à ces gens en détresse. Avec 16 de ses collègues arrivés de Casablanca et Salé, elles sont d’ailleurs là pour ça. « Nous dormons avec des rescapés sous les quelques tentes disponibles, et au milieu de la nuit, nous sommes à chaque fois réveillées par des cris. Ils n’arrivent pas à dormir à cause des crises de panique soudaines », précise Amal Kalai.
« Sidna »
Caméras et microphone à la main, nous sommes rapidement interpellés par plusieurs habitants d’Ighil. Exprimant leurs doléances quant à la nécessité de disposer de tentes, ils insistent également sur le fait que nous devons « aller plus loin ». « Il faut marcher tout au long de cette route. Vous en aurez pour trois heures. Là-bas, pas moins de 28 douars sont toujours sans rien. Quelques ânes sont partis avec les aides, mais ce n’est pas suffisant », explique un homme, casquette rouge vissée sur la tête, dont on comprend qu’il est venu rendre visite à ses proches, rescapés du séisme.
« Allez à mon douar, je peux vous donner un contact. Il vous montrera tout ce qui a été détruit », ajoute un autre.
Cinq femmes viendront plus tard vers nous, elles aussi arrivant à peine d’un douar avoisinant. « Est-ce que vous filmez ? Si oui, vous devez aller là-bas. Ce sont les zones les plus touchées », insiste une des rescapées du groupe.
Des militaires sur place, interrogés par nos soins, nous expliqueront plus tard que c’est à moins de 5 kilomètres à pied qu’on tombe sur le premier héliport, étant à l’origine un terrain de jeu pour enfants aménagé de manière sommaire par un des habitants ayant décidé de tracer un grand "H" sur le sol pour diriger les secours vers le lieu d'atterrissage improvisé.
Des messages furtivement entendus au milieu du grésillement des talkie-walkies et quelques mots glanés ici et là auprès des soldats nous indiquent « qu’une importante venue » est en préparation. Un gendarme nous fait la confidence qu’il s’agirait du gouverneur, d’un général, « le nôtre » précise-t-il, à savoir Mohamed Haramou, patron de la Gendarmerie royale, mais aussi, selon le militaire, « Sidna » pour dire le Roi. « Mais je ne sais pas comment ils vont faire, la zone est difficile d'accès y compris par les airs, je ne vous ai rien dis s’il vous plaît ! », se ravise le jeune officier avant de mettre fin à la conversation.