
Les oubliées de la Cour Pénale Internationale
« Madame Le Témoin » apparaît dans l'écran plat de la salle d'audience. La vague silhouette anonyme acquiesce, en quelques mots de sango, d'une voix de synthèse. « Madame Le Témoin » n'est pas assise dans le prétoire de la Cour Pénale Internationale à La Haye, aux Pays-Bas, mais à plus de 5000km de là, à Bangui, capitale centrafricaine.
« Madame Le Témoin, vous êtes présente aujourd'hui par le moyen de la technologie vidéo, pour faire connaître vos vues et préoccupations », articule Sylvia Steiner, la juge brésilienne qui préside ce procès. Entre chaque phrase, de longues secondes de silence s'écoulent, le temps de la traduction en anglais et en français, les deux langues de travail de ces magistrats, avocats et huissiers venus des cinq continents. Ce 16 mai 2016, le moment est historique. C'est la première fois, au terme de 330 jours d’audience, qu'un responsable militaire est condamné pour des viols comme crimes de guerre et crimes contre l'humanité.
Dans cette salle aseptisée, Jean-Pierre Bemba, l'ex-homme d'Etat congolais, sanglé dans un costume sombre, encadré par deux policiers, a perdu de sa superbe. Il scrute d'un œil morne l’écran où témoigne la victime, la tête enfoncée dans ses imposantes épaules. Parfois aussi, il lève les yeux en direction des rangs clairsemés qu'occupe une petite poignée d'auditeurs. Mutique, il affiche la mine résignée de celui qui connaît son sort. Car Jean-Pierre Bemba a déjà été reconnu coupable, le 21 mars 2016, en première instance, en qualité de chef militaire, de meurtres comme crimes de guerre et crimes contre l'Humanité, de pillages comme crime de guerre et de viols comme crimes de guerre et crime contre l'humanité. Aujourd'hui, il s'agit de déterminer combien d'années il va être emprisonné pour les exactions que ses troupes ont commises.
« Madame Le Témoin » est l'une des 5 229 victimes reconnues par la CPI des violences perpétrées entre le 26 octobre 2002 et le 15 mars 2003, en République Centrafricaine par les 1 500 hommes du Mouvement de Libération du Congo (MLC), la milice fondée par Jean-Pierre Bemba. Parmi elles, une effrayante majorité a subi des viols. Aujourd'hui, les juges entendent deux d'entre-elles, Flavie* et Mélanie*, dont les vies sont irrémédiablement marquées.
Le calvaire de ces femmes débute quand les troupes de Bemba viennent soutenir son allié, Ange-Félix Patassé, le président de la RCA menacé par le coup d'État de François Bozizé. Convaincus que les civils ont soutenu les rebelles, les miliciens congolais lancent une vaste opération punitive. Flavie* a « entre 15 et 16 ans ». Enlevée avec sa tante, elles sont emmenées chacune dans un camp du MLC. « Quand je suis arrivée à leur base, un de leur chef m'a trainée dans une maison abandonnée […] et m'a violée », raconte sobrement Flavie. Séquestrée avec d'autres femmes, dont certaines sont âgées de 13 ans, elle est violée tous les jours, contrainte de suivre les troupes, jusque dans leur repli en RDC. Là-bas, elle découvre qu'elle est enceinte et doit vivre avec l'un de ses violeurs. Elle y aura un second enfant, tandis que le premier meurt en bas âge.

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