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Grand angle

Mazagan, l’infranchissable citadelle portugaise

22.11.2024 à 01 H 51 • Mis à jour le 22.11.2024 à 01 H 51 • Temps de lecture : 23 minutes
Par
PATRIMOINE.
Dans l’actuelle ville d’El Jadida, les Portugais ont jadis bâti l’une des plus impressionnantes citadelles de leur glorieuse période de domination des mers. La cité fortifiée de Mazagan est toujours debout pour témoigner de l’improbable histoire d’une présence qui s’est maintenue, contre vents et marées, durant plus de deux siècles et demi. Un trésor d’Histoire à la senteur de poudre à canons qu’il est aujourd’hui agréable d’arpenter

Il a fallu plus de deux siècles et demi, des dizaines de milliers de soldats, de nombreux sièges, des centaines de canons et un nombre incalculable de victimes pour déloger les Portugais de leur forteresse de Mazagan. Le 11 mars 1769, l’ultimatum de trois jours, imposé par le sultan Mohammed Ben Abdellah (1757-1790) et ses 70 000 hommes qui assiègent Mazagan, s’achève. En fin de journée, le dernier des portugais, probablement le gouverneur de la cité en personne, Dinis Gregório de Melo Castro e Mendonça, quitte le bastion par la ‘Baluarte do Norte’ (rempart nord). A la hâte, les quelques 600 soldats de la garnison portugaise et leurs familles embarquent à bord d’un escadron envoyé depuis Lisbonne pour les évacuer.


Vue sur « le port des portugais », seule douve autour de la citadelle encore pénétrée par l’océan. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Alors que l’accord de cessez-le-feu prévoyait un départ sans politique de la terre brûlée, l’évacuation portugaise s’achève par un phénoménal feu d’artifice. Le bouquet final étant l’explosion de la poudre à canon placée par les vaincus à l’entrée Sud-Est du fort. Les traces de cette fuite spectaculaire sont encore aujourd’hui visibles sur les restes du « Bastion du Gouverneur », tour de défense principale de Mazagan, éventrée par la déflagration. Malgré la mort de plusieurs centaines de soldats, l’armée du sultan alaouite peut exulter. Elle vient de mettre fin à une présence continue de l’envahisseur portugais, maître absolu de ‘Mazagão’ entre 1514 et 1769. Comment cette citadelle isolée, à plus de 1000 kilomètres des côtes portugaises, a-t-elle ainsi pu résister aussi longtemps ?


La forteresse de Mazagan, un patrimoine bien vivant, lieu de vie d’une partie de la population d’El Jadida. Oussama Rhaleb / Le Desk
La forteresse de Mazagan regorge de dédales, d’escaliers et de chemins de traverses : un musée à ciel ouvert. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Un trésor historique à redécouvrir

Aujourd’hui, ce site exceptionnel, joyau de la ville d’El Jadida, est un véritable trésor, témoin miraculé de l’Histoire. Consciente de son importance et du devoir de sa préservation, l’UNESCO l’a placé dans sa liste du patrimoine mondiale en 2004. Située à moins de 100 kilomètres de Casablanca, l’ancienne cité portugaise est à la fois facile d’accès et se trouve au cœur d’une région riche en activités balnéaires, culturelles ou sportives. En bord de mer, des balades à cheval ou à dos de dromadaire, du quad, du jet ski ou du surf sont possibles. En plein air, du karting, du paintball, du trampoline, du foot, du tir à l’arc, du pickleball, du tennis, du vélo, de la tyrolienne et même du saut à l’élastique rendront vos vacances trépidantes.


La rue principale de Mazagan, depuis sa porte d’entrée. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Perle méconnue du Maroc, exemple de développement touristique respectueux de l’environnement, cette destination se prête autant à une escapade de farniente en couple, à des vacances sportives en famille ou un « golf trip » inoubliable entre amis. A commencer par El Jadida, chef-lieu des Doukkala, son immense plage, ses infrastructures modernes, sa tradition équestre et son riche patrimoine architectural hérité du Protectorat. Quant à la forteresse de Mazagan elle est, de son côté, devenue le symbole d’une histoire commune, aujourd’hui marquée par une amitié sincère, entre le Maroc et le Portugal.


Une place qui mène à Bab El Bhar (Porte de la Mer), et à droite, une rampe piétonne qui permet d’accéder aux hauteurs de murailles de Mazagan, pour la ballade la plus panoramique de la citadelle. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk
Bab El Bhar et sa célèbre grille. A l’époque portugaise, ce passage est le seul qui permet d’accéder à la citadelle depuis la mer. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Pourtant, les deux nations se sont longtemps affrontées sur plusieurs siècles. L’un des tournants de cette histoire commune se joue lors de l’inversion des rapports de force en faveur de Lisbonne, à la faveur de la Reconquista chrétienne en péninsule ibérique. Un élan qui va mener les armées lusitaniennes à franchir la méditerranée et prendre possession de la ville de Sebta en 1415. Les Marocains sont sous le choc de la perte du principal port sur sa côte nord, mais le royaume chérifien est incapable de réagir lors de cet épisode, marqué par le déclin de l’autorité de la dynastie mérinide (1244-1465). Dans le sillage de la chute de Sebta, et malgré leur échec à s’emparer de Tanger en 1437 (qui finit par céder en 1471), les Portugais enhardis par les perspectives d’étendre leur influence à d’autres régions du Maroc, se projettent sur la façade atlantique.


Des fortins portugais, témoins des luttes passées

Les expéditions portugaises s’enchaînent et sont le plus souvent ponctuées de succès. C’est ainsi qu’au début du XVIe siècle, Lisbonne parvient à imposer une forme de Protectorat ou un contrôle total sur quelques places fortes du littoral océanique comme, Ksar el Sghir, Assilah ou encore Agadir. Un succès qui s’explique en partie par « la maîtrise des Portugais en matière d’armes à feux et leur savoir-faire dans la construction de bâtiment de défense » précise l’historien Ahmed Bouchareb, spécialiste des relations entre le royaume chérifien et le Portugal.


Les murs incurvés de la muraille, pour résister aux bombardements des assaillants. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk
L’un des tunnels de la cité de Mazagan, pour le déplacement rapide des soldats. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Dans la région de Doukkala, riche et fertile, les conquérants prennent le contrôle de Safi et d’Azzemour, alors plus importante cité de ce territoire, située aujourd’hui à une vingtaine de kilomètres de l’actuel El Jadida. Près du site de Mazagan, qui deviendra l’une des plus imposantes de leurs citadelles en dehors de leur pays, les Portugais érigent une tourelle face à la mer que les locaux appellent ‘El Brija’ (petit bastion) sur un port naturel connu comme ‘Mazighen’. Une localisation dont découle certainement le nom de Mazagan, que les nouveaux venus déforment à peine avec la déclinaison ‘Mazagão’. Au tout début du XVIe siècle, cet édifice leur sert davantage pour faciliter le repérage des navires que comme une infrastructure militaire.


Aujourd’hui, galeries d’arts et rues fleuries égayent l’intérieur de la citadelle de Mazagan. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Malgré cette apogée de la présence lusitanienne au Maroc, les premières difficultés surgissent. D’abord plus au sud, dans le pays Souss, où une puissance naissante tente par tous les moyens de déloger les Portugais qui sont harcelés à Agadir, que ces derniers finissent par quitter en 1530. Les Saâdiens (1554-1659), qui vont succéder aux Mérinides, dissuadent donc les conquérants de s’établir durablement dans la région. Plus au nord, en pays Doukkala, les Portugais n’éprouvent pas autant de difficultés militaires, grâce notamment à la complicité de quelques tribus de la confédération des Senhadjas avec qui ils font commerce. Mais leur fief d’Azzemour leur pose problème. D’abord de navigation, à cause du mouillage à son port, rendu vaseux par la proximité de l’embouchure de l’Oued Oum Errbiî, mais aussi par la difficulté de rénover et moderniser la kasbah musulmane préexistante. La petite mais charmante ville d’Azemour vaut d’ailleurs le détour.


Porte d’accès au niveau inférieur des bastions de défense. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


A seulement quelques minutes en voiture d’El Jadida, vous pouvez y constater à quel point son centre-ville est marquée de l’histoire portugaise, et y voir les ruines de la citadelle qu’ils pensaient ériger comme fief de leur présence dans la région. Mais face aux difficultés, les lusitaniens vont donc jeter leur dévolu sur ‘Mazighen’ dans lequel ils ont établis El Brija. Ce port naturel, protégé de la houle par le récif de la baie d’El Jadida, leur paraît idéal pour protéger ce qu’il reste de leur présence dans la région.


Exemple de fusion admirable du patrimoine marocain. Le minaret de la Grande Mosquée de Mazagan, bâti au XIXe siècle élevé au-dessus de ce qui était l’une des tourelles de l’ancien Castello du début du XVIe siècle. Un audacieux recyclage architectural. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Au printemps 1514, commence la construction d’un fortin, ou petit château en portugais « Castello » sous la direction du Duc de Bragance, éminent représentant de l’aristocratie lisboète. Il choisit pour architectes les frères Diogo et Fransico de Arruda, connus pour leur audace et leur penchant pour le style gothique alors en vogue en Europe.


Tourelle qui protégée Le Castello première version de la citadelle, avant qu’elle ne devienne le cœur de la cité de Mazagan après agrandissement de la citadelle en 1541. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


A l’été de la même année, ils achèvent l’édification de ce fortin de 2 500 mètres carrés, cerné par quatre tours cylindriques, typiques des frères architectes, elles-mêmes jointes par quatre épaisses murailles. Cette construction est l’embryon de la cité portugaise de Mazagan, qui connait un important développement en 1518, lorsque les ingénieurs creusent un fossé de 50 mètres de largeur en moyenne et qui sera agrandi avec la construction de la cité portugaise autour du fortin quelques années plus tard. Car entretemps, les lusitaniens au Maroc ne sont plus aussi sereins. Ils perdent aussi le contrôle de Safi en 1541, quittent définitivement Azzemour et décident de rassembler leurs garnisons à Mazagan, qu’il faut donc ériger comme place forte de la couronne portugaise sur le littoral marocain.


L’art urbain et contemporain, alliage de deux époques, dans un seul patrimoine géant. Crédit : Oussama Rhaleb / Le Desk


Jilali Derif, secrétaire général de l'Association Mazagan pour le Patrimoine, est un passionné de l’histoire de sa ville dont il devenu un expert. Il nous raconte en détails les circonstances de la construction de la ville portugaise, dont il connait les moindres recoins « l’intention du Roi Jean III d’abandonner Safi et Azemmour, sans quitter la baie de Mazagan, est déclarée au mois de septembre 1534 dans une circulaire adressée aux membres de son Conseil. Il ordonne l’exécution du projet de la forteresse à Mazagan en mai 1541 ». La tâche est confiée à l’ingénieur italien Benedetto di Ravenna qui imagine un plan en forme d’étoile : « avec des murailles infléchies vers l’intérieur de façon à amortir le choc des boulets de canons en cas de siège. De même les meurtrières ont des angles différents pour viser tous les espaces possibles », précise Jilali Derif. Le dispositif des murailles du fief militaire, désormais de la taille d’une petite ville, est encore aujourd’hui quasiment intact.


Promenade marine et rues animées

A la différence de l’époque portugaise, vous pouvez longer, à pied, les façades nord et sud de la forteresse, qui étaient jadis entouré du fossé qui permettait à l’eau de mer de ceinturer l’édifice.


Au bout la promenade tout en haut des murs d’enceinte, le bastion de l’Ange à l’ombre d’un palmier. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk
Etage supérieur du bastion de l’Ange, là où les Portugais ont placés les canons les plus lourds et à la plus longue portée . Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk
La petite prison, élément du Bastion de l’Ange par la lorgnette d’un mur percé. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Une promenade marine qui permet aussi de profiter du seul bras investi par la mer autour de la citadelle, et qui longe les remparts sud, en face du Bastion de l’Ange. Depuis l’immense place Labrija, bordée par des restaurants de poissons frais, le fossé marin rescapé, que les locaux appellent « le port portugais », est un quai emprunté aujourd’hui par de petits chalutiers. Au bout duquel, se trouve la rampe d’une société de chantier naval, qui produit petits bateaux de pêche et des barcasses. Au-delà de cet endroit, si vous continuez votre chemin, dites-vous que la terre ferme qui supporte vos pas n’existait pas au XVIe et XVIIe siècle. En longeant de près les remparts, du côté du bastion du Saint-Esprit, vous êtes sur le trottoir de l’avenue de Suez, une importante artère d’El Jadida.


L’immense place Labrija, face à la muraille sud de Mazagan, espace de flânerie pour les habitants d’El Jadida. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk
Muraille de la façade Est, aujourd’hui face à l’avenue de Suez et à l’époque, ceinturée d’une douve remplie d’eau pour y bloquer l’accès depuis la terre ferme. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk
Chalutier à quai sur la douve en face du rempart sud de la citadelle. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Encore une centaine de mètres dans l’une des zones les plus animées de la ville et vous êtes arrivés à la porte principale, accès central de l’imposante citadelle. Une autre porte jumelle, distante de seulement quelques mètres, est celle fameuse du bastion du Gouverneur. Si vous êtes attentifs à son sommet tronqué, vous y verrez les traces de la destruction délibérée des Portugais, qui l’ont dynamité au moment de leur ultime départ en 1769.


Canon de l’époque portugaise, force de persuasion des lusitaniens durant leur occupation du bastion de Mazagan. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


C’est au contact proche du mur d’enceinte, large par endroit de 5 mètres, que l’on saisit sa fonction de véritable carapace urbaine. Pour se rendre compte de la robustesse des murailles, il suffit de prendre de l’altitude et monter par l’un des escaliers qui mènent au sommet de l’édifice. En plus d’offrir une vue imprenable sur le cœur de la citadelle, l’océan, et une partie de la ville moderne, cette promenade en hauteur permet de réaliser à quel point les Portugais se sont barricadés à Mazagan.


Au premier plan, ruines du dynamitage portugais du Bastion du Gouverneur lors de leur fuite définitive et au second plan, sommet du clocher de l’Eglise de l’Assomption. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk
Les deux portes principales d’accès à la citadelle, les armoiries de la couronne lusitanienne et ruines du bastion du Gouverneur témoignent d’un passé agité. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


N’hésitez pas à visiter les quatre bastions massifs qui s’érigent aux quatre coins des remparts pour se rendre comptes qu’à eux seuls, ils sont de véritables fortins autonomes. Ils sont aujourd’hui accessibles et s’érigent sur plusieurs niveaux : « l’intérêt est de multiplier les possibilités de placer des canons, comme c’est clairement le cas ici au bastion de Saint-Sébastien. Au niveau inférieur, vous constatez que le dispositif est fait pour les batteries basses, avec des canons de petites tailles dont le but est de repousser des assaillants déjà arrivés au pied des murs », explique Jilali Derif.


Les tourelles, ici du côté du bastion de Saint-Sébastien, comprennent plusieurs niveaux pour plusieurs types de défense. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk
Porte d’accès au Bastion de Saint-Sébastien, zone stratégique du Nord-Est de la citadelle. Oussama Rhaleb / Le Desk


Au niveau supérieur, le plus haut, les ouvertures de canons sont bien plus larges « ici sont postées les batteries hautes, avec des canons plus grands et qui sont essentiellement pointés vers le large pour viser des bateaux ennemis », poursuit l’expert. En outre, chaque bastion est occupé par une garnison autonome, qui possède au sous-sol une chapelle, pour éviter de se déplacer dans l’une des nombreuses églises essentielles à la très catholique armée lusitanienne. Ici tout est pensé pour permettre une réactivité optimale en cas d’attaque, et de permettre de gagner du temps en attendant des renforts.


La rue Hachmi Bahbah traverse en longueur la cité de Mazagan, et l’une des plus animée de la forteresse. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Plus qu’une citadelle à usage militaire, la cité de Mazagan a, au milieu du XVIe siècle, des allures de ville moyenne pour l’époque. Le plan des rues est conçu selon la tradition urbaine romaine, basée sur deux axes perpendiculaires : le Decumanus, le plus large de la cité, orienté Ouest-Est, que les Portugais nomment la rue ‘dos Celleiros’ et le Cardo Maximus orienté Nord-Sud et qui correspond à la rue ‘de Carriera’. L’intersection des deux voies se situe au niveau du centre historique de Mazagan, l’ancien ‘Castello’. Son axe principal, aujourd’hui la rue Hachmi Bahbah, s’étend jusqu’à la ‘Porta Da Ribeira’, seul accès marin de la citadelle à l’époque portugaise. Cette voie, est aujourd’hui la plus fréquentée de la forteresse, où se mêle visiteurs, échoppes vitrines de l’artisanat local, et bien sur les habitants, qui vivent dans les maisons à l’intérieur de cette « médina » pas comme les autres.


La médina toujours aussi bien protégée par des remparts qui semblent infaillibles, deux siècles et demi après le départ des Portugais. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


La structure telle que vous pouvez la visiter aujourd’hui date de 1543, année durant laquelle, les ingénieurs s’attèlent à sa rénovation complète en transformant radicalement l’embryon de la cité. Le fortin en devient le cœur de la ville, ses quatre tours sont rehaussées et le quartier alentour est devenu un forum avec des commerces, deux prisons, un hôpital (détruit depuis), une place d’arme et une grande Eglise, Notre Dame de l'Assomption, aujourd’hui transformée en théâtre ouvert aux visites.


L’Eglise de l’Assomption, principal lieu de culte à l’époque portugaise, devenue aujourd’hui un lieu culturel. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


A l’intérieur, les armoiries portugaises, gravées dans des dalles en marbre blanc, sont clairement visibles sur les deux cotés de la salle de spectacle. L’ancienne cour intérieure du ‘Castello’ a quant à elle été transformée en une splendide citerne d’eau couverte. Ce monument, chef-d’œuvre d’architecture gothique, est devenu aujourd’hui l’emblème de la ville, et le plus prisé des visiteurs.


Outre son ingéniosité qui relève le défi de l’autonomie de l’eau, la citerne est une véritable poésie architecturale, inégalable. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


La conception de cet édifice, considéré comme le plus important dans son genre au XVIe siècle, a nécessité trois années de travaux. Achevé en 1545, ce chef-d’œuvre est attribué à João de Castilho, architecte attitré de l’ancien roi Manuel Ier et référence d’un style vouté dans toute la péninsule ibérique. A Mazagan, il conçoit donc la citerne de la ville sur la base d’un plan carré, d’à peu près 30 mètres de long et autant de large. S’immerger dans ce patrimoine inestimable, c’est explorer l’âme de la citadelle, dans un site coupé du temps et de l’espace. La citerne, précise Jilali Derif compte « 25 piliers taillés suivant l’architecture gothique, 12 piliers à fut rond et 13 piliers à fut carré tous disposés par 5 rangées de cinq qui soutiennent des nervures entrecroisées qui portent une série de voûtes construites de briques d’argile cimentées par un enduit de chaux et de sable, donnant 5 nefs dont chacun est formé de cinq travées ». Outre son aspect esthétique qui fascine ses visiteurs, la citerne et son bassin en pierre est d’une efficacité à toute épreuve. Avec un fond à deux mètres de profondeur et un plafond à près de 5 mètres de hauteur, ce sont des milliers de litres d’eau potable qui y sont stockés, à l’abri de la lumière. Son remplissage est principalement le fait d’une nappe phréatique peu profonde et fournisseuse d’une eau de très bonne qualité, filtrée par les roches. Ainsi, elle permet aux Portugais de résister aux assauts des Marocains, notamment le plus important, celui de 1562. Un patrimoine qui fascine encore aujourd’hui et qui séduit les plus grands artistes, comme le réalisateur américain Orson Welles, qui y tourne une partie de son film culte Othello, Palme d’Or du Festival de Cannes en 1952.


Intérieur de l’Eglise de l’Assomption, aujourd’hui un théâtre et salle de projection, au profit de l’activité culturelle de la ville. Sur les murs de droite, les armoiries portugaises gravées dans du marbre blanc demeurent intactes. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


A cette date, la dynastie saâdienne, désormais solidement implantée à la tête du royaume chérifien, entend bien libérer les villes sous domination ibérique. Conscient de l’âpreté de la tâche face aux Portugais de Mazagan, le sultan Abdellah El Ghalib (1557-1574) envoie son fils ainé, héritier du trône, et des dizaines de milliers de soldats (100 000 selon les chroniques sans doute exagérées des Portugais) à l’assaut de la citadelle. Malgré une intense campagne de bombardement, des tentatives de creuser des tunnels pour s’approcher des enceintes et des nombreuses charges terrestres, le Grand Siège de Mazagan (Grande Cerco de Mazagão) échoue après plus de deux mois et demi intenses.


Le bastion de l’Ange depuis la poissonnerie du port moderne . Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk
L’intérieur des bastions, organisés pour l’autonomie des garnisons de garde, véritable petit quartier à l’intérieur de la ville . Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Ironie du sort, le commandant saâdien, le prince Mohammed al-Mutawwakil, deviendra le principal allié marocain des Portugais lors de la plus célèbre bataille entre les deux nations près de la ville de Larache, celle des « Trois Rois » qui bouleverse l’Histoire du Portugal le 4 aout 1578. Cette confrontation épique dite d’Oued al-Makhazine, s’achève non seulement pas une débâcle des armées lusitaniennes, mais surtout par la mort du monarque Sébastien 1er qui ne laisse aucun héritier. La couronne portugaise disparait au profit de celle des Habsbourg d’Espagne et perd son indépendance durant encore 60 ans. L’historien Ahmed Bouchareb estime que le déroulé de cet épisode des relations entre les deux pays était inévitable : « depuis que les Saâdiens ont unifié le Maroc, les Portugais ont commencé à reculer partout où ils étaient implantés. Les jésuites du Portugal ont saisi cette occasion pour mener une véritable propagande pour la guerre sainte au Maroc. Le jeune roi Sébastien 1er  y a été sensible et s’est aventuré naïvement ».


Le soleil couchant et les derniers rayons pénétrants dans Mazagan depuis sa porte principale. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Malgré la déliquescence de l’Etat portugais, la citadelle de Mazagan continue de tenir le choc et de dissuader toutes nouvelles velléités de reconquête. Il va falloir encore attendre presque deux siècles et l’avènement d’une nouvelle dynastie, celle des Alaouites, pour enfin venir à bout de l’incroyable citadelle de Mazagan. Mais sa chute face à l’armée du sultan Mohammed Ben Abdellah ne signe pas la fin de l’aventure. Si le site tombe en désuétude au point d’être surnommée ‘Al Mahdouma’ (la détruite) jusqu’aux années 1820 et sa restauration par le sultan Moulay Abderrahmane (1822-1859) pour devenir El Jadida (la neuve), Mazagan revit ailleurs, à des milliers de kilomètres de là. Traumatisé par la perte de leur ville, les habitants de l’ancienne El Jadida, de retour au Portugal, reste soudés et sont envoyés dans la plus grande colonie portugaise dans le monde, le Brésil. C’est là, au nord-est de cet immense territoire, qu’ils fondent ‘Nova Mazagão’, la nouvelle Mazagan. La ville abrite encore aujourd’hui plus de 20 000 habitants, descendants reconnaissants des pionniers de la cité atlantique marocaine. Un héritage unique désormais en partage…

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