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Grand angle

Plongeon dans la piscine de « 1337 »

29.08.2018 à 19 H 37 • Mis à jour le 29.08.2018 à 19 H 42 • Temps de lecture : 8 minutes
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REPORTAGE (1/3)
Fruit d’un partenariat entre le géant phosphatier OCP et le magnat des télécoms Xavier Niel, l’école 1337 de la cité minière de Khouribga, spécialisée dans le code informatique, ouvrira ses portes à quelques 150 étudiants en octobre prochain. Plongeon dans la seconde « piscine » de l’été, une formation étalée sur quatre semaines, sept jours sur sept et vingt quatre heures sur vingt quatre. Premier d'une série de trois volets en immersion à l'école des geeks

Ce lundi matin aux pieds de l’imposant bâtiment de l’école 1337 à Khouribga, ils sont trois-cent à se diriger d’un pas décidé vers les portes d’entrée. Il n’est pas encore dix heures, les yeux sont grands ouverts et le bruit des valises qui roulent sur le béton est entrecoupé de discussions animées. Pour ces jeunes venus des quatre coins du pays et de plus loin encore, c’est une aventure un peu spéciale qui commence. Tous ont été sélectionnés après un test en ligne pour participer à « la piscine » de 1337, une formation au code gratuite, ouverte à tous et sans diplôme. Ici, ces derniers vont y apprendre pendant un mois à dompter les différentes écritures de lignes de codes comme le HTML, le CSS ou le JavaScript.

Des élèves et leurs parents entrent à l'école 1337 pour le début de la nouvelle piscine. LOUIS WITTER / LE DESK

Unique en son genre au Maroc, cet établissement est le fruit d’un partenariat entre le géant phosphatier OCP et 42, une école de coding cofondée par le magnat des télécoms français Xavier Niel. Présente en France, aux Etats Unis et en Belgique, 42 a été élue meilleure école au monde par CodinGame et jouit d’une réputation d’excellence dans les métiers du développement informatique. « Treize, Trente-Sept », qui a importé le modèle pédagogique de 42, se veut à son tour révolutionnaire dans le pays dans sa manière d’enseigner et de former ces futurs développeurs : aucun prof, aucun cours, les élèves y sont maîtres et élèves à la fois.

Dans l'entrée de 1337 à Khouribga. LOUIS WITTER / LE DESK

C’est au terme de cette piscine que les étudiants retenus entameront les trois ans de cursus proposés par l’école. Ils ne se connaissent pas encore et pourtant, ils vont devoir un mois durant cohabiter nuit et jour, s’entraider et travailler ensemble. C’est la deuxième session de l’été qui débute et pour Hind, du staff pédagogique, cela revêt une importance particulière, « les premiers jours sont vraiment intéressants, les élèves s’approprient les lieux, découvrent en même temps leurs camarades et se mettent dans le bain. Pour nous aussi, c’est la découverte de nouveaux jeunes ».

Vue de 1337 sur les anciens fours de séchage de phosphate de Khouribga. LOUIS WITTER / LE DESK

Munis de leur login, de leur mot de passe et de leur carte d’accès au bâtiment, les élèves s’installent autour de leurs ordinateurs, trois-cents iMacs flambant neufs répartis sur deux étages, et se lancent dans la découverte de l’interface virtuelle sur laquelle ils vont travailler. Au cœur du projet pédagogique de Treize Trente-Sept : le peer-learning, littéralement « enseignement mutuel ». Un staff réduit, présent pour encadrer avant tout, mais d’abord des élèves qui apprennent par eux-mêmes, découvrent les exercices et sont poussés à demander à leurs camarades des conseils en cas de blocage.


« J’ai fait une prépa intégrée ici à Khouribga, cette piscine est super importante pour moi »

                                     Paul, 21 ans, Burkina Faso


Sur la première vidéo qui se lance dans les oreillettes apparaît le visage de Thor, développeur informatique à la carrure de viking, qui explique rapidement la manière de fonctionner de l’école, de la piscine et de la plateforme. Devant son écran, Paul, étudiant de 21 ans originaire du sud du Burkina Faso, découvre le premier test qui consiste à envoyer un e-mail un peu spécial à Kwame Yamgnane, l’un des fondateurs de l’école 42. Dans cet e-mail, les mots « 42, maître du monde, beau » et «  fort » doivent apparaître. La blague en déstabilise plus d’un mais Paul, tout sourire, ne se démonte pas. « J’ai fait une prépa intégrée ici à Khouribga, cette piscine est super importante pour moi » lâche-t-il avant de se plonger dans son travail.

Des élèves de 1337 au travail. LOUIS WITTER / LE DESK

Dans cette promotion, cinquante cinq filles sont présentes, un peu plus que dans la première. En même temps que les garçons, elles découvrent au dernier étage le lieu où elles dormiront les trente jours à venir. Deux dortoirs surveillés, où pour le moment seuls des dizaines de bagages et de couvertures enroulées s’entassent en attendant la première nuit.

Des élèves pendant le repas du midi dans le réfectoire de 1337. LOUIS WITTER / LE DESK

Contrairement à l’école 42 de Paris, 1337 fournit aux élèves trois repas par jour. « Nous n’avons pas voulu que des jeunes extrêmement motivés se privent de venir pour des raisons financières, devant se préoccuper de savoir si ils allaient pouvoir payer leurs repas à l’extérieur. Car il y a vraiment des gens de tous les milieux, un étudiant a même revendu son téléphone pour pouvoir financer son voyage jusqu’ici ! » souligne Hind. La route pour venir à Khouribga a pour beaucoup été une étape. « Je viens du désert » explique Hatim, lunettes de soleil vissées sur les yeux. Le garçon a 23 ans et sa famille vit au sud, près de Dakhla, « il m’a fallu deux jours pour arriver ici ». Passionné de code, cela fait déjà quelques temps qu’il pratique, chez lui, en solitaire. Mais quand son père, directeur de collège, a appris que l’école pourrait lui permettre de se lancer vraiment, le jeune homme n’a pas hésité une seule seconde, « bien sûr que je suis ici pour gagner ! ».

Ismail explique des exercices à Meryem et Amine. LOUIS WITTER / LE DESK

Alors que durant l’après-midi certains n’ont pas quitté leur poste des yeux, dans l’une des petites salles du second étage on se creuse la tête et on travaille en équipe. Au tableau, Ismail, feutre à la main, explique à Meryem et Amine un exercice sur lequel les deux ont buté. Navigant entre un anglais et un français parfaits et la darija, il avance point par point face aux questions de ses deux nouveaux élèves. « Ca fait un mois que je me prépare à venir ici » dit-il, confiant, « en réalité, ce n’est pas si difficile que ça le code, il faut juste prendre quelques automatismes et faire preuve de logique ». Après une dizaine de minutes d’explications sur l’organisation des fichiers et des dossiers, les deux ressortent de son cours improvisé enfin sur la bonne route. Sourire satisfait aux lèvres, Ismail retourne dans la grande salle et lâche, « je crois que je ne vais pas beaucoup dormir ce soir ».

Au troisième étage de l'école 1337, les dortoirs se remplissent au fur et à mesure que la nuit avance. LOUIS WITTER/ LE DESK

La nuit tombée, ses paroles se confirment. Alors que les premiers élèves montrent des signes de fatigue et grimpent au dernier étage installer quelques matelas, lui continue à avancer dans ses différents exercices. La cohue du matin fait alors place à un calme studieux dans les clusters, ces grandes salles climatisées où cent cinquante ordinateurs qui tournent en permanence se font face.

Les membres du staff en réunion au troisième étage de l'école 1337. LOUIS WITTER / LE DESK

Vers trois heures du matin, dans l’une des pièces de détente, un élève bidouille discrètement une unité centrale de PC qu’il a ramenée de Fès, la branche à une télé et paraît sortir de nulle part deux manettes de jeux. Une partie de Call of Duty s’engage alors entre amis. Quand les membres du staff découvrent les fils et câbles qui dépassent de partout, leur étonnement n’est pas feint, eux qui ont retiré avant le début de la piscine les playstations qui étaient branchées pour éviter de distraire les jeunes durant leur formation. Le gamer en question est pris entre quatre yeux par le staff, « par contre, ça ne va pas être possible l’unité centrale branchée n’importe comment à la télé ». Un brin provocateur, il tente une esquive, « mais je ne peux pas travailler si je ne peux pas jouer un peu ! ». Pas de négociation possible, pas de traitement de faveur, l’endroit n’est pas fait pour. Mais « libre à toi d’aller jouer dans l’un des cafés en ville ! » lance une membre du staff.

13 et 37, les deux chiens mascottes de l'école. LOUIS WITTER/ LE DESK

Ici pas d’horaires hormis pour les repas, le principal est de savoir gérer son temps et son sommeil. Les roulements entre ceux qui dorment et ceux qui travaillent est continu, le café est leur premier allié. Au dessus des friches industrielles qui bordent le complexe de 1337, d’anciens fours de séchage de phosphate, la lune commence à faire place au jour qui se lève. Devant l’entrée, 13 et 37, les deux chiens mascottes de l’école, dorment d’un sommeil profond sous l’œil attendri de quelques élèves qui se préparent à remonter. Pour leurs nouveaux 300 jeunes maîtres, c’est le début d’un mois riche mais éprouvant.

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