
n°1081.Fibre optique et 5G : les contours de la décision de l’ANRT concernant les JV de Maroc Telecom et Inwi
Publiée ce mardi 24 juin, une décision de l’Autorité nationale de réglementation des télécommunications (ANRT), datée du 18 juin, a autorisé la création de deux entreprises communes par les deux groupes Itissalat Al-Maghrib (Maroc Telecom) et Wana Corporate (Inwi).
Cette opération marque un tournant sans précédent dans l’histoire du secteur marocain des télécommunications. Elle a été rendue possible après des mois de négociations entre les deux opérateurs, avec l’appui actif des autorités publiques, et intervient quelques semaines après la nomination de Mohamed Benchaâboun à la tête de Maroc Telecom, en remplacement de Abdeslam Ahizoune, suivie d’un changement du mode de gouvernance de l’opérateur historique.
Le contexte était aussi celui d’un climat tendu avec l'actionnaire émirati d’IAM (le groupe e& ), qui avait menacé en juillet 2024 de réévaluer sa présence au Maroc. Le partenariat annoncé permet ainsi de répondre à plusieurs objectifs stratégiques, à la fois industriels, technologiques, concurrentiels et diplomatiques, dans un moment crucial de préparation du pays à la Coupe du monde 2030.
La FiberCO capitalisée à 3 MMDH, la TowerCo à 1,4 MMDH
Pour rappel, l’opération de concentration économique consiste en la création de la FiberCo, joint-venture entre les deux opérateurs pour le déploiement au Maroc de nouvelles infrastructures passives permettant la mise en place des réseaux de fibre optique FTTH jusqu’aux abonnés, et la fourniture d’un accès passif à ses infrastructures pour les besoins d’opérateurs de télécommunications. Elle sera capitalisée par les deux parties à hauteur de 3 milliards de dirhams (MMDH) en plusieurs étapes.
Une deuxième JV verra aussi le jour : la TowerCo. Elle aura pour objet le déploiement au Maroc de nouvelles tours (sites, pylônes…) permettant d’héberger des équipements radios et la fourniture d’un accès passif à ses infrastructures, notamment pour les besoins des opérateurs de télécommunications. Elle se chargera également de la reconstruction de tours existantes lorsque les pylônes devront être remplacés. Elle sera capitalisée par les parties à hauteur de 1,4 MMDH en plusieurs étapes.
Les conditions de création des entités autonomes
La FiberCo et la TowerCo seront des sociétés communes accomplissant, chacune, de manière durable, toutes les fonctions d’une entité économique autonome, fait-on savoir dans la décision. Ces sociétés disposeront, chacune, de ressources humaines, matérielles et financières propres et suffisantes pour assurer leur autonomie sur les marchés concernés. Elles adresseront les demandes émanant des opérateurs de télécommunications, y compris leurs maisons-mères. Dans ce sens, elles ne pourront pas traiter avec celles-ci de manière différenciée par rapport aux opérateurs concurrents et seront soumises, dans leurs relations avec ces derniers, aux règles d’objectivité et de non-discrimination, insiste la décision.
La FiberCo et la TowerCo devraient contribuer à une dynamique concurrentielle sur les marchés de gros concernés, certains, tels que celui du FTTH, étant actuellement des marchés en cours de développement, souligne l’ANRT.
La FiberCo permettra de ce fait aux opérateurs de télécommunications clients de bénéficier, grâce à l’accès passif aux réseaux FTTH, d’une liberté technique et commerciale, dans des conditions objectives, proportionnées et non discriminatoires. Elle sera constituée en une entité juridique jouissant d’une autonomie de décision et dotée de mécanismes de séparation fonctionnelle, de protection des données stratégiques et de traitement équitable des clients. Ni la FiberCo ni la TowerCo n’ont vocation à adresser les marchés de détail, précise-t-on.
Les observations de Médi Télécom
Par ailleurs, l’ANRT signale que pas moins de 18 observations ont été mises par des personnes physiques, en plus de la société MDT (Médi Télécom). Les observations des personnes physiques ont porté essentiellement sur leurs attentes par rapport à la création des deux entreprises communes, notamment en matière d’élargissement de la couverture FTTH, la baisse des prix et l’amélioration de la qualité de service, lit-on.
Quant à MDT, elle a affirmé être « favorable à toute initiative structurante et inclusive visant à accélérer la transformation numérique du Royaume du Maroc », a identifié les marchés concernés affectés et a fait part de ses analyses des éventuels risques concurrentiels y afférents, indique l’ANRT.
La même société MDT a fait part de propositions d’engagements que la TowerCo et la FiberCo devraient prendre pour s’assurer de traiter les tiers, MDT compris, de manière non discriminatoire, de remédier aux préoccupations de concurrence identifiées, notamment en termes de risques d’échanges d’information sensible et de coordination, et enfin d’assurer un accès aux infrastructures passives fixes et mobiles dans des conditions transparentes, non discriminatoires et équitables.
Un cadre juridique pour les deux futures entreprises
Dans sa décision, l’ANRT identifie aussi un cadre juridique pour les deux futures entreprises. Elle souligne que les exploitants de réseaux publics de télécommunications sont tenus de publier des offres de référence pour la mise à disposition des infrastructures comme les servitudes, les emprises, les ouvrages de génie civil, les artères, les points hauts et les lignes de télécommunications. Citant la loi 24-96, elle rappelle que cette mise à disposition doit être faite dans des conditions techniques et financières objectives, proportionnées et non discriminatoires qui assurent des conditions de concurrence loyale.
Cette mise à disposition doit faire l’objet d’un contrat entre l’entreprise commune concernée et l’opérateur demandeur (y compris avec chacune des maisons-mères), précise-t-on. Chaque personne concernée, qui dispose de telles infrastructures, est tenue de publier des offres de référence pour leur mise à disposition au profit des opérateurs de télécommunications. La publication d’une telle offre de référence ne peut faire obstacle à engager des négociations commerciales avec un opérateur de télécommunications en vue de la détermination de prestations ou de conditions qui n’auraient pas été prévues dans cette offre de référence, peut-on lire.
Le partage passif des infrastructures FTTH fera l’objet d’une offre technique et tarifaire (OTT) de chacun des opérateurs globaux. Ces derniers ont soumis, fin mai 2025, leurs projets préliminaires respectifs à l’ANRT, affirme par ailleurs l’ANRT dans sa décision.
S’agissant des décisions prises par l’ANRT, on apprend que l’autorité de régulation avait déjà pris l’initiative de fixer les modalités afin de permettre l’ouverture des infrastructures, dites essentielles ou passives. Elles fixent les modalités, selon les cas, techniques, tarifaires ou opérationnelles. Elles précisent, le cas échéant, les obligations spécifiques applicables aux opérateurs exerçant une influence significative sur un ou plusieurs segments du marché. La mise à jour de ces règles et le suivi de leur impact/efficience relèvent d’un exercice continu de la régulation, indique l’ANRT.
Les marchés de la FiberCo et de la TowerCo délimités
Dans sa décision, l’ANRT identifie les marchés concernés par chacune des entités. Pour la FiberCo, il s’agit de marchés affectés à l’accès en gros aux infrastructures physiques de la boucle locale filaire, de l’accès aux infrastructures de génie civil ainsi qu’aux prestations associées, du marché de détail de l’accès à internet fixe haut et très haut débit, ainsi que le marché des liaisons louées.
Sur certains marchés de gros concernés, seule IAM est active. Sur d’autres marchés de gros, IAM, MDT et Wana y sont actives, relève l’ANRT. Sur les marchés de détail concernés, seules IAM, MDT et Wana sont actives, lit-on.
Pour la TowerCo, deux marchés sont identifiés : l’hébergement d’équipements radios sur infrastructures passives et le marché aval de la fourniture de services de télécommunications mobiles. À ce sujet, on dispose qu’un site (tour) de télécommunications sera composé d’éléments dits passifs, à savoir d’un pylône ou d’un mât, d’un local technique et d’accessoires techniques, et d’éléments dits actifs. Les éléments passifs seront détenus et exploités par la TowerCo, tandis que ceux actifs seront exploités par chaque opérateur de télécommunications ou toute autre personne autorisée souhaitant installer ses équipements actifs sur le site concerné.
L'analyse concurrentielle de l'ANRT
La FiberCo et la TowerCo devraient contribuer à l’optimisation des déploiements et permettre d’avoir une meilleure efficacité économique et opérationnelle. Une telle situation ne peut, à elle seule, conférer des avantages concurrentiels majeurs indus aux sociétés notifiantes et à la FiberCo et la TowerCo, tranche par ailleurs l’ANRT, en publiant son analyse concurrentielle.
Le dispositif réglementaire actuel en vigueur, objet de la loi n° 24-96 et de la pratique observée au Maroc, permet d’anticiper tout risque de verrouillage de l’accès aux infrastructures dites essentielles (pouvant entraîner un affaiblissement des acteurs par le biais de l’imposition de conditions de partage et d’accès aux infrastructures discriminatoires, inégales et non transparentes). Ce dispositif est complété par la loi n° 104-12 (risque d’abus de position dominante, risques d’entente ou de pratiques anticoncurrentielles…), auquel chaque personne concernée peut faire appel à l’ANRT en ce qui concerne le secteur des télécommunications, lit-on dans la décision.
L’ANRT considère que tout opérateur de télécommunications bénéficierait, au même titre que les sociétés sotifiantes, de l’avantage relatif à l’optimisation de déploiement. Le secteur des télécommunications est un secteur régulé. Ainsi, tous les comportements des différents intervenants sont encadrés et analysés et peuvent être, le cas échéant, sanctionnés, dans le cas d’abus ou de non-respect de la réglementation en vigueur, précise l’autorité de régulation dans sa décision.
La conclusion de l'ANRT
En conclusion de sa décision, l’ANRT s’est exprimée dans un premier temps sur la création de la FiberCo : elle souligne que cette opération ne soulève pas de préoccupations du point de vue de la concurrence quant à sa compatibilité avec le marché national en raison de potentiels effets horizontaux sur les marchés concernés. L’ANRT considère en plus que les engagements pris par les sociétés notifiantes, Maroc Telecom et Inwi, sont suffisants.
De même, l’ANRT considère que l’opération, bien qu’il existe des chevauchements verticaux entre l’activité de la FiberCo et celle d’IAM, ne soulève pas de préoccupations du point de vue de la concurrence quant à sa compatibilité avec le marché national en raison de potentiels effets verticaux sur les marchés concernés, indique la décision. Toujours pour la FiberCo, l'ANRT précise qu’il n’existe pas de risques prépondérants de dépendance économique à terme pour les futurs déploiements, dans la mesure où chaque opérateur garde la liberté d’investir sur l’ensemble du territoire national.
En ce qui concerne la TowerCo, l’ANRT indique également qu’il n’y a pas de préoccupation du point de vue de la concurrence quant à sa compatibilité avec les marchés concernés. Un suivi rigoureux des activités de la TowerCo sera fait par l’ANRT.
Toujours dans ses conclusions, l’ANRT indique que ni la FiberCo ni la TowerCO ne peuvent avoir accès ou utiliser les systèmes d’information des sociétés notifiantes. Les éventuelles demandes de la FiberCo ou de la TowerCo doivent être traitées de façon identique aux processus appliqués par les maisons-mères aux autres opérateurs, précise la décision.
Pour les autorités marocaines, cette alliance stratégique constitue un levier central pour répondre aux besoins croissants en connectivité à très haut débit dans l’ensemble du territoire. Elle s’inscrit dans une perspective de transformation numérique à large échelle, visant à renforcer l’inclusion, améliorer la compétitivité des entreprises, moderniser les services publics et préparer les infrastructures du pays aux grands rendez-vous mondiaux.
Elle répond également à des standards internationaux, comme l’ont montré les modèles similaires de mutualisation mis en place récemment en Espagne, en Allemagne ou en Italie, où les FiberCos et TowerCos sont devenues des piliers structurants du secteur.
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